Harcelement et violence au travail : Ce que dit la nouvelle loi ?

Reconnu comme un délit, le harcèlement – moral ou sexuel – peut exister quel que soit le lien entre les personnes.

A ce titre, le droit monégasque permettait déjà de poursuivre l’auteur d’un harcèlement, soit en engageant sa responsabilité civile pour faute sur le fondement de l’article 1229 du Code civil, soit sa responsabilité pénale au titre d’une infraction générale figurant à l’article 236-1 du Code pénal – bien que le terme de harcèlement n’y figure pas explicitement.

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Reconnu comme un délit, le harcèlement – moral ou sexuel – peut exister quel que soit le lien entre les personnes.

A ce titre, le droit monégasque permettait déjà de poursuivre l’auteur d’un harcèlement, soit en engageant sa responsabilité civile pour faute sur le fondement de l’article 1229 du Code civil, soit sa responsabilité pénale au titre d’une infraction générale figurant à l’article 236-1 du Code pénal – bien que le terme de harcèlement n’y figure pas explicitement.

Dans la sphère du travail, la responsabilité de l’employeur pouvait également être recherchée par application des règles de droit commun sur le fondement de l’obligation de bonne foi prévue par l’article 989 du code civil lorsqu’il était auteur des agissements ou lorsqu’il avait été informé d’une situation de harcèlement mais qu’il s’était abstenu de prendre les mesures appropriées et sur le fondement de l’article 1231 alinéa 4 du code civil lorsque les agissement étaient commis par un ou plusieurs employés dans le cadre du lien de préposition.

Toutefois, ces dispositifs se sont avérés peu adaptés, notamment au regard des différentes formes que peut prendre le harcèlement, la difficulté de le cerner et son caractère pernicieux, plus particulièrement dans le cadre de la relation de travail.

Ceci explique certainement, l’impatience avec laquelle ces dispositions sur le harcèlement spécifiques au milieu du travail étaient attendues.

Cinq années ont été nécessaires pour que la loi n°1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail soit adoptée en séance publique par le Conseil National.

En quinze articles, cette loi qui interdit expressément le harcèlement et la violence au travail, a pour ambition d’améliorer la sensibilisation et la prise de conscience, de favoriser la prévention et de parvenir à réduire, voire, idéalement, à éliminer ces comportements inadmissibles.

Mais que dit cette nouvelle loi ?

1. QUI EST CONCERNE ?

La loi relative au harcèlement et à la violence au travail concerne :

  • les employeurs – personnes physiques ou morales, de droit privé ou de droit public et
  • toutes les personnes qu’ils emploient, y compris les stagiaires, les apprentis, les intérimaires, et les salariés mis à disposition. 


2. A QUELLE RELATION DE TRAVAIL S’APPLIQUE-T-ELLE ?

Les dispositions de cette nouvelle loi s’appliquent à toute relation de travail – de droit privé ou de droit public – dans laquelle existe un lien de subordination, quel que soit son fondement juridique.

Mais également aux relations de travail entre les employés d’un même employeur, quel que soit leur niveau hiérarchique.

Toutefois, elle n’a pas vocation à s’appliquer dans les cas où un employé est victime de faits dont l’auteur n’est ni son employeur, ni un collègue de travail, mais, à titre d’exemple : un client ou un fournisseur.

Elle organise ainsi la protection des salariés, des stagiaires, des fonctionnaires, des agents publics, ainsi que des employeurs, qui peuvent également s’en prévaloir lorsqu’ils sont victimes de harcèlement ou de violence.

Il est important de mentionner que ces dispositions protectrices s’appliquent lorsque la victime fait l’objet d’un harcèlement ou d’une violence commise par son employeur ou par un ou plusieurs collègues même en dehors des locaux et des heures de travail.


3. QUELS SONT LES COMPORTEMENTS EXPRESSEMENT INTERDITS ?

La loi interdit le harcèlement, le chantage sexuel et la violence au travail.


4. COMMENT LA LOI DEFINIT-ELLE LE HARCELEMENT AU TRAVAIL ?

La loi n°1.457 propose une définition unifiée du harcèlement au travail comprenant le harcèlement moral et sexuel.

Ainsi, l’article 2 de ladite loi définit le harcèlement au travail comme :

« le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre de la relation de travail, une personne physique à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».

La principale innovation, réside dans le fait que la définition retenue intègre la notion de dignité – qui ne figure pas dans celle mentionnée à l’article 236-1 du Code pénal – dont l’atteinte est considérée comme une potentielle conséquence du harcèlement au travail.

Dès lors, grâce à l’adoption de cette loi, la dégradation des conditions de travail engendrée par le harcèlement – moral ou sexuel –peut avoir deux conséquences alternatives :

  • soit de porter atteinte à la dignité de la personne humaine ;
  • soit d’altérer sa santé physique ou morale.

Ainsi, en permettant de sanctionner les comportements qui portent atteinte à la dignité de la personne, avant que l’état physique de la victime ne soit dégradé, la loi relative au harcèlement et à la violence au travail permet de mettre fin plus rapidement à la dynamique de harcèlement.

En pratique, il résulte de la jurisprudence actuellement accessible que le harcèlement au travail peut prendre des formes très variées comme :

  • adopter de manière répétée une attitude humiliante et vexatoire ;
  • faire preuve d’acharnement ;
  • tenir de manière répétée des propos désobligeants, dégradants, déplacés etc.;
  • réprimander et dévaluer de manière répétée le travail d’une personne – de surcroît devant ses collègues;
  • exercer une pression constante ;
  • exclure / mettre à l’écart / priver une personne de ses outils de travail sans raison ;
  • mettre en place des manœuvres visant à déstabiliser et/ou à conduire une personne à quitter l’entreprise.

A cet égard, il est toujours loisible à la victime de consulter un Avocat afin de déterminer si les agissements dont elle fait l’objet pourraient être considérés comme constitutifs de harcèlement moral ou sexuel.


5. QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE LE HARCELEMENT ET LE CHANTAGE SEXUEL ?

Le harcèlement qui se réfère à « des actions ou omissions répétées », ne se conçoit donc que par une répétition d’actes sur une certaine période.

Dès lors, un acte isolé, ne remplissait pas les conditions pour être sanctionné au titre du harcèlement.

Or, un acte isolé peut parfois être d’une extrême gravité, de sorte que le laisser impuni aurait été inadmissible.

Par conséquent, s’inspirant directement de la définition française, la loi a introduit le chantage sexuel à savoir :

« le fait, éventuellement répété, dans la cadre d’une relation de travail ou d’une procédure de recrutement, d’user envers une personne physique de toute forme de pression grave dans le but d’obtenir d’elle un acte de nature sexuelle que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur ou d’un tiers ».


6. QUELLES SONT LES OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR ?

La nouvelle loi impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir, d’identifier et de faire cesser les faits de harcèlement, de chantage moral et de violence au travail.

Il doit ainsi mettre en place des mesures de prévention efficaces.

Parce qu’elles constituent le meilleur moyen de réduire, voire de supprimer le harcèlement, le chantage sexuel ou la violence au travail, l’article 5 de la loi n°1.457, amendée sur proposition de la Commission de Législation, fournit un exemple de ce que peuvent être des « procédures appropriées destinées à prévenir de tels faits », à savoir :

  • pour les entreprises de moins de 10 salariés, l’employeur peut désigner un référent au sein de son entreprise et en informer l’ensemble des salariés ;
  • pour les entreprises de plus de 10 salariés, pour l’employeur personne morale de droit public ou toute société qui exploite un monopole concédé par l’Etat, l’employeur doit désigner un tel référent et en informer l’ensemble des salariés mais également, le cas échéant, les délégués du personnel et les délégués syndicaux.

L’article 5 de la loi précise le rôle du référent qui :

  • est désigné pour un an et peut être reconduit dans ses fonctions ;
  • est chargé de recueillir le signalement de l’un des faits de harcèlement, chantage sexuel ou de violence au travail ;
  • doit transmettre le signalement des faits cosigné par l’auteur de la déclaration à l’employeur.

L’employeur quant à lui doit :

  • mettre à la disposition du référent les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission ;
  • informer par écrit le référent et l’auteur de la déclaration des suites données au signalement de faits ;
  • fixer la procédure d’instruction du signalement.

Le référent est protégé par la nouvelle loi en ce qu’il ne peut être licencié en raison de l’exercice de sa mission. Son éventuel licenciement sera nécessairement soumis aux dispositions protectrices applicables aux délégués du personnel (article 16 de la loi n°459).

Lorsqu’il est informé de faits susceptibles de constituer un harcèlement, un chantage sexuel ou de la violence, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour les faire cesser.

En cas de manquement par l’employeur à ces nouvelles obligations, définies comme des obligations de résultat par la Commission de Législation, sa responsabilité civile pourra être recherchée et il pourra être condamné à indemniser le ou la victime.


7. QUELS SONT LES RECOURS DONT DISPOSE LA VICTIME ?

La victime de harcèlement ou de violence au travail dispose de différents recours :

Les recours extrajudiciaires

  • Le salarié victime des agissements d’un autre employé peut dénoncer les faits à son employeur (ou au référent désigné) qui, s’il constate des faits de harcèlement ou de violences, a l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires propres à les faire cesser.
    A cet égard, l’employeur peut prononcer à l’encontre du salarié auteur des faits litigieux ou ayant incité ces faits, des sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, licenciement/révocation…).
  • La victime peut également alerter l’Inspection du Travail qui a pour vocation d’assurer l'application des dispositions légales concernant les conditions du travail et la protection des travailleurs dans l'exercice de leur profession.
  • Enfin, il est toujours possible pour la victime de saisir un Avocat afin qu’il mette en demeure l’auteur des faits litigieux de cesser les agissements litigieux.

Les recours judiciaires

La victime peut saisir la juridiction civile et/ou la justice pénale.

Face à cette dualité de juridictions, la victime pourra consulter un Avocat qui l’aidera à déterminer la stratégie judiciaire la plus adaptée à sa situation.

  • a) Saisine d’une juridiction civile
    • i. Saisine du Tribunal du Travail par les victimes du secteur privé
      • Mode de saisine
        Les victimes du secteur privé (salariés, employeurs ou représentants légaux de l’employeur) saisissent le Tribunal du Travail par voie de requête directement adressée au Président du Bureau de Jugement.
        Néanmoins, si la victime souhaite qu’une tentative de conciliation ait lieu, elle peut adresser sa requête au Bureau de conciliation.
        Le secrétaire du Tribunal convoque les parties par lettre recommandée avec demande de réception postale. 
      • Prérogatives du Bureau de Jugement du Tribunal du travail
        Le Tribunal du Travail peut notamment :
        • annuler toute sanction ou mesure disciplinaire prise par l’employeur à l’encontre du salarié victime, ayant pour objet ou pour effet d'affecter défavorablement le déroulement de sa carrière, pour avoir subi ou refusé de subir l'un des faits constitutifs de harcèlement, de chantage sexuel ou de violence au travail, pour en avoir témoigné ou pour l’avoir relaté ;
        • prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser les faits de harcèlement, de chantage sexuel ou de violences, étant précisé que de telles mesures peuvent être ordonnées, s’il y a urgence, par le Juge des référés. ;
        • condamner l’auteur des faits et/ou son employeur à réparer le préjudice de la victime
    • ii. Saisine du Tribunal de Première Instance par les fonctionnaires et agents du service public
      • Mode de saisine
        Les fonctionnaires, agents de l’Etat, de la commune ou des établissements publics assignent l’auteur des faits et/ou son employeur devant le Tribunal de Première Instance en réparation des dommages subis.
      • Prérogative du Tribunal de Première Instance :
        Le Tribunal de Première Instance peut notamment condamner l’auteur des faits et/ou son employeur à réparer le préjudice de la victime.
  • b) Saisine de la justice pénale
    • Modes de saisine
      • La victime peut déposer une plainte simple devant le Procureur Général ou avec constitution de partie civile devant le Juge d’instruction.
        Si à l’issue de l’enquête ou de l’instruction, il existe des éléments suffisants, l’auteur des faits est renvoyé devant le Tribunal Correctionnel.
        La victime pourra alors se constituer partie civile et solliciter réparation.
      • La victime peut également saisir directement la Juridiction répressive en citant l’auteur des faits devant le Tribunal Correctionnel et solliciter réparation.
    • Prérogatives du Tribunal Correctionnel
      Si le prévenu est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés, il peut être condamné :
      • Sur l’action publique à :
        • Une peine allant de 6 mois à 2 ans d’emprisonnement, portée au double si l’infraction est commise :
          • par plusieurs personnes – auteurs ou complices ;
          • sur une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance étaient apparents ou connus de son auteur.
        • Et/ou une amende de 18.000 € à 90.000 €.
      • Sur l’action civile, à réparer le préjudice de la victime.


8. QUI DOIT APPORTER LA PREUVE DES FAITS DE HARCELEMENT, DE CHANTAGE SEXUEL OU DE VIOLENCE AU TRAVAIL ?

Par dérogation au principe général du droit selon lequel il appartient au demandeur d’établir la preuve des faits dont il se prétend victime, la loi relative au harcèlement et à la violence au travail aménage la charge de la preuve, sans pour autant la renverser, au profit de la victime.

Ainsi, la personne qui s’estime victime d’agissements constitutifs de harcèlement, de chantage sexuel ou de violence au travail ne devra pas en rapporter la preuve irréfutable, mais devra établir les faits qui permettent de présumer leur existence.

La charge de la preuve qui pesait par principe sur la victime en est ainsi allégée.

  • Dans un premier temps, le juge devra estimer si la présomption est fondée

L’article 6 de la loi précise que ce sera au juge d’estimer, dans un premier temps, si pris dans leur ensemble, les faits présentés par le demandeur constituent « un faisceau d’indices graves précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, d’un chantage sexuel ou de violence au travail ».

  • Dans un second temps, l’auteur des faits devra prouver qu’ils ne sont pas constitutifs d’une infraction visée par la loi n°1.457

Si le juge estime que la présomption est fondée, le défendeur devra prouver que les faits ainsi établis ne sont pas constitutifs d’un harcèlement, d’un chantage sexuel ou de violence au travail.

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Toutefois, ce système ne semble pas avoir vocation à s’appliquer en matière pénale sauf lorsque la victime procède à la saisine de la juridiction répressive par voie de citation directe.

En effet, dans les autres hypothèses, la charge de la preuve incombe au ministère public.


9. QUELS ELEMENTS PEUT PRESENTER LA VICTIME A L’APPUI DE SA DEMANDE ?

S’il convient en premier lieu de rappeler que, s’agissant de faits, la preuve est libre et peut donc être établie par tous les moyens légaux, il n’en demeure pas moins que le harcèlement, reposant pour l’essentiel sur un ensemble de non-dits, est particulièrement difficile à démontrer pour la victime.

Or, les éléments factuels présentés par la victime à l’appui de sa demande doivent être suffisamment solides pour constituer un « faisceau d’indices graves, précis et concordants ».

A défaut, les faits de harcèlement ou de chantage sexuel ne pourront pas être présumés.

En pratique, les éléments d’indice retenus par la juridiction pourraient résulter d’attestations de personnes ayant été témoin de faits, d’éléments médicaux, d’échanges de correspondances entre la victime et l’auteur des faits etc…

A cet égard, la victime aura intérêt, préalablement à toute action, à consulter un Avocat pour se faire assister dans le rassemblement de ces éléments et obtenir conseil.


10. QUELS SONT LES RISQUES ENCOURUS PAR L’AUTEUR DE HARCELEMENT OU DE VIOLENCE AU TRAVAIL ?

L’auteur des faits risque :

  • de faire l’objet de sanctions disciplinaires de la part de son employeur (avertissement, blâme, licenciement/révocation…) ;
  • d’être condamné pénalement à une peine allant de 6 mois à 2 ans d’emprisonnement, portée au double portée au double si l’infraction est commise par plusieurs personnes (auteurs ou complices) sur une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance étaient apparents ou connus de son auteur et/ou une amende de 18.000 € à 90.000 €.
  • d’être condamné à verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la victime.


11. QUELS SONT LES RISQUES ENCOURUS PAR L’EMPLOYEUR QUI N’A PAS PRIS TOUTES LES MESURES NECESSAIRES PROPRES A FAIRE CESSER LES FAITS DE HARCELEMENT OU DE VIOLENCE AU TRAVAIL ?

L’employeur qui ne respecte pas ses obligations est susceptible d’être condamné devant les juridictions civiles à réparer en tout ou en partie le préjudice subi par la victime.

En outre, le Tribunal du Travail peut prescrire des mesures propres à empêcher ou faire cesser les faits litigieux.


12. QUELS SONT LES RISQUES ENCOURUS PAR LES PERSONNES QUI INVOQUENT A TORT LES DISPOSITIONS DE LA LOI ?

Tout employé qui a délibérément fait une fausse déclaration portant sur la commission ou la non commission par autrui des faits de harcèlement ou de violences peut faire l’objet de sanctions disciplinaires de la part de son employeur (avertissement, blâme, licenciement/révocation…).

En outre, celui qui a agi devant une juridiction en invoquant, dans l’intention de nuire, les dispositions de la loi peut être condamné :

  • à une amende civile dont le montant ne peut excéder 3.000,00 € devant le Tribunal du Travail ;
  • à une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 9.000 € à 18.000 € en cas de poursuite devant le Tribunal Correctionnel pour dénonciation calomnieuse ; le Tribunal pourra en outre ordonner la publication du jugement (article 307 du code pénal).
  • à des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés par le défendeur, quelle que soit la juridiction saisie.
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